Lettre à mes soeurs chrétiennes....
Lettre à mes sœurs
chrétiennes susceptibles de comprendre le sens de la lutte que nous menons contre
les mutilations génitales féminines (mgf) ou excision.
Chrétiennes mes soeurs,
Dans la lettre pastorale de 2004 sur « la place de la femme dans
notre société et dans notre Eglise », j'ai invité les fidèles catholiques
à un changement de mentalité à l’égard de la femme et à engager la lutte contre
certaines pratiques et conduites dictées par la tradition qui minimisent la femme ou constituent des
obstacles à son épanouissement humain et chrétien. Je dénonçais clairement une
pratique, considérée à tort comme une « coutume de nos ancêtres » à
savoir l’excision et qui est imposée aux
fillettes en âge de puberté lors de l’initiation féminine traditionnelle.
Tout le monde reconnaît que l’excision
est de date récente dans notre région (un siècle environ); mais elle s'est
introduite insidieusement dans l'initiation féminine traditionnelle et a fini
par s'imposer à elle comme le rite par excellence. Notre Eglise-Famille de Dieu qui est à Sarh a
un grand respect de la culture traditionnelle et s’emploie à y enraciner l’Evangile avec
discernement. L'Evangile qui est Parole de Dieu nous éclaire sur la réalisation
totale du plan de Dieu en Jésus-Christ. Il nous interpelle et remet en question
toute pratique ou conduite qui est contraire à ce que Dieu a voulu en créant
l’homme et la femme.
J’ai donné des orientations pastorales
concrètes pour favoriser la promotion des femmes à différents niveaux de notre
vie sociale et ecclésiale. Au plan scolaire, scolaire des actions telles que la
création des foyers de filles, les camps de vacances ou des groupes de
réflexions ont été entreprises par des communautés religieuses ou des paroisses,
pour appuyer et encourager les familles qui désirent un avenir meilleur pour
leurs filles.
Je m’attendais à un engagement
explicite des femmes chrétiennes qui ont des responsabilités dans notre société
et qui sont les premières intéressées par cette lettre. Je pensais en
particulier à nos amies de jeunesse aujourd’hui cadres, politiciennes ou
administratrices…avec qui nous avons milité dans
Je me pose la question de savoir si
cette lettre pastorale a vraiment trouvé un écho auprès de nos femmes
chrétiennes. J'adresse cette nouvelle lettre (écrite il y’a un an et publiée
maintenant seulement) pour inviter de manière explicite les femmes chrétiennes
en position de relief dans la société à
s’engager un peu plus avec nous dans cette lutte, par la réflexion, par la prière ou par l'action aux côtés de
leurs pasteurs.
La
nature humaine est une et unique.
Notre foi chrétienne nous enseigne que
la différenciation sexuelle a été positivement voulue par Dieu, créateur de
l’homme et la femme… De la même chair Dieu a fait deux êtres complémentaires
(Gn 2,18. 22.). L'unicité et l'égale dignité de leur nature sont clairement
affirmées dans le récit de la création Il n’y a rien en l’homme qui le rende
supérieur en dignité à la femme et il n’y a rien dans la femme qui la rende
inférieure en dignité à l'homme. Il n’y a donc aucune raison pouvant justifier
les conduites de discrimination ou d'exclusion vis-à-vis de la femme.
Adam (l’homme) et Eve (la femme) sont
appelés à assumer une mission commune que
Dieu leur confie : gérer la création, en tirer les ressources nécessaires
pour leur bien-être, se reproduire et éduquer leur enfants en restant fidèles à
La femme a été de tout temps et dans
bien des cultures soumise à toutes sortes de limitations dans son
épanouissement charnel ou spirituel sous prétexte de sa nature différente de
l’homme... comme si le péché a changé quelque chose dans la nature physique
d’Adam ou d’Eve. Au contraire les prophètes et le Christ nous enseignent que
c'est le coeur de l'homme qui est
mauvais et c'est du cœur de l'homme qu'il faut extraire à la
racine, les maux qui affectent nos relations sociales. En clair, c'est le coeur
qu'il faut circoncire ou exciser...et le
prépuce ou le clitoris (cf. Jr.4, 4; Mt
15,19; Ac7, 51.).
Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme
par Marie.
« Quand vint la plénitude du
temps Dieu envoya son fils né d’une femme ... » (Gal.4, 4.). C’est Jésus,
né de Marie, Elle est une femme comme les autres, physiquement intègre, mais
par une grâce spéciale de Dieu a été soustraite au péché originel...donc
spirituellement intègre. Nous confessons que Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai
homme grâce à cette femme car son
humanité, il la tient de Marie.
La condition sociale de la femme dans
la société juive était plus ou moins la même que dans notre culture
traditionnelle. Mais la gloire dans laquelle Marie
L’éducation traditionnelle était une
action communautaire (la famille et la société). L’initiation traditionnelle
est le temps fort d’expression de cette solidarité éducative car elle marquait
une étape importante dans la maturité sociale des enfants et impliquait tous
les membres de la société. Le terme commun « ndo » est différencié en
ndo féminin ( ndo deyaa) ou ndo masculin (ndo dengam). La tradition donne ainsi
une égale importance et dignité à l’initiation des garçons comme à celle des
filles. Si la renonciation aux scarifications ou cicatrices (qui caractérisait
l’homme initié sara) n’a posé aucun problème pour les hommes, pourquoi il n’en
serait pas de même pour l’initiation féminine si elle renonçait à
l’excision clitoridienne ?
Notre Eglise-Famille entretient un
dialogue positif avec les autorités traditionnelles. Nous reconnaissons que nous avons des valeurs sociales communes
à transmettre à nos jeunes: amour du travail, honnêteté, maîtrise de soi et
surtout de sa langue, courage dans l’épreuve, solidarité… Les autorités traditionnelles
nous ont reconnu le droit de transmettre à nos jeunes, des valeurs propres
à la famille chrétienne et nous ont dispensé de certains rites contraires à
notre foi. Cela est vrai pour les garçons.
Pour les filles, les mêmes démarches
devraient être faites par des femmes (pour respecter la bienséance) mais nous
n'avions pas des femmes chrétiennes préparées. Des associations féminines
animées par des femmes chrétiennes se sont engagées il y'a une quinzaine
d'années dans la lutte contre l’excision…et nous avons fondé de grands espoirs
sur leur engagement. Mais hélas! Ce sont des programmes à durée déterminée,
financés par des organismes internationaux…L'engagement n'a duré que le temps
des financements. Finis les fonds, finie la lutte…Alors on peut se demander le
degré de conviction de ces femmes chrétiennes dans cette lutte.
Alors que la pratique de l'excision
régresse dans d'autres pays africains, chez nous elle ne fait que se
développer. Pire, même des personnes
cultivées et socialement bien influentes de la ville envoient leurs filles se
faire exciser en campagne…quand elles n’organisent pas dans nos centres urbains
des camps d’excision. Nous attendons toujours que nos femmes intellectuelles
osent parler pour nous appuyer ou pour
aider leurs sœurs ignorantes à éviter la confusion grossière qui est toujours
faite entre le cadre éducatif de l’initiation féminine et l’excision qui est
une pratique qui s'y est greffée artificiellement et récemment.
Réaffirmer les valeurs chrétiennes
Si l'excision est une coutume de nos
ancêtres, alors comment comprendre que les peuples Sara qui ont horreur du sang humain puissent
volontairement accepter, au nom de la même coutume, de verser le sang de leurs fillettes... Tout le monde sait que
l'excision nous vient des relations avec les populations islamisées. Celles-ci
continuent de la pratiquer avec discrétion, mais dans notre région, elle se
fait avec une ostentation insolente et donne lieu à une débauche de nourriture
et de boissons.
Je disais dans ma lettre pastorale que
c'est un droit pour les femmes de notre Eglise-Famille d'avoir un espace social
reconnu, propre à elles, qui leur permette de s’exprimer culturellement de
développer le génie féminin ou de déployer leurs énergies spirituelles pour
l'expression totale de leur être de femme chrétienne. C’est une condition essentielle
pour leur permettre de se concerter et de consolider les actions de
transformation positive de notre société.
Mais où sont nos femmes chrétiennes
militantes d'action catholique ou responsables dans la société (éducation,
santé, Associations et ONG, Parlement…)? Où sont nos religieuses? Est-ce normal que ce soit l’évêque ou les
curés qui se battent touts seuls dans ce domaine où la pudeur culturelle nous
empêche de pénétrer ? Nous le faisons au nom de notre foi, malgré les
injures ou les moqueries en nous appuyant sur quelques mamans et grands-mères
de bonne volonté.
Il est donc
urgent que les femmes chrétiennes dépassent les considérations humaines
(ethniques ou culturelles) pour se serrer les coudes et passer au premier rang
de cette lutte. Nous sommes prêts à les aider pour discerner ce qui est bon ou
mauvais pour leur foi. C'est à elles de s'organiser et d'organiser les sessions
d'initiation à la vie sociale de leurs filles pour choisir ce qui est utile ou
non à l’épanouissement moral social et spirituel de leurs filles, en ce XXI°
siècle. Ce sont les mamans chrétiennes qui savent ce qu'il faut transmettre et
comment maintenir vivantes les valeurs positives de l’éducation traditionnelle
dont elles déplorent le manque chez leurs filles aujourd'hui.
Il est vrai
que dans la tradition Sara la participation des tantes et des cousines dans la
gestion de l'initiation féminine a son importance. Mais dans notre tradition
chrétienne, personne n’est mieux placé que la maman ou la marraine chrétienne
pour offrir à la fille chrétienne un modèle de femme épanouie et l'aider à
acquérir les vraies valeurs. Les femmes chrétiennes ont plus à gagner en
s’engageant solidairement pour créer un cadre favorable leur permettant
d'assurer une bonne transmission à leurs filles
de ce qui les constitue femmes chrétiennes. Elles ne peuvent pas se
contenter de confier leurs filles à d’autres...pour « en faire des
femmes » par une simple opération génitale.
Des femmes de
foi éprouvée.
La première condition est d’être
convaincue de sa foi. Il faut être convaincue que la pensée de Dieu est
supérieure à la pensée des hommes et que Jésus-Christ est venu abattre nos
barrières pour nous libérer de nos craintes et de nos refuges culturels. Dieu a
crée l'homme et la femme avec sagesse et intelligence (cf. Ps 103,24). Qui
était son conseiller quand il nous a créés et qui peut corriger ce que Dieu a
réalisé ? L’intégrité de la nature humaine doit être respectée car voulue par
Dieu Lui-même. C’est paradoxal que la
femme qui a tous ses organes en place soit considérée comme inférieure à celle
qui a été mutilée.
C’est un mensonge grave que laisser
croire à nos filles qu’elles ne trouveront pas de maris ou seront exclues de la
société si elles ne sont pas excisées. Qu’elle société ? Celle du village ? Mais si nous envoyons nos filles à l’école, c'est pour que
leur horizon ne se limite pas seulement au village.
Aujourd'hui ce sont les femmes excisées qui
se moquent de celles qui sont intègres dans leur nature... demain ce seront
elles qui seront la risée des celles qui auront eu le courage de se libérer de
cette pratique d'une autre époque.
Notre Service Audio Visuel pour l’Education
a produit trois films qui ont fait verser des larmes aux mamans…il s’agit de « Pour un
veau » (sur le trafic des enfants bouviers), « Ton al ta » et
« Madion » (sur l’excision). Ces mêmes personnes qui se sont lamenté
sur le sort des enfants bouviers sont incapables de dire non à l'excision qui est tout autant un mauvais traitement inhumain
et dégradant sur des mineures…donc inacceptable pour la conscience chrétienne.
APPEL
Femmes chrétiennes de l’Assemblée
nationale, des Associations féminines, de l'Union des Cadres Chrétiens du Tchad,
du Conseil des Laïcs du diocèse de Sarh, de
Si vous laissez faire les ignorantes,
c'est vous qui en rendrez compte au Seigneur au jugement dernier. Si vous vous
taisez, qui répercutera le cri silencieux des fillettes abusées dans leur
innocence, violentées…et soumises à cette opération non nécessaire,
irréversible et traumatisante? Qui
dira le nombre exact de fillettes en bonne santé, livrées aux exciseuses et qui
sont mortes d’hémorragie… combien auront des accouchements difficiles ou seront
marquées à vie par d'autres complications obstétriques dues à l'excision ?
Vous êtes présentes désormais à tous les leviers de commande de la vie
sociale...Pesez positivement de votre poids spirituel, morale et culturel pour donne
un contenu positif et une marque chrétienne à toute les manifestations
sociales. Faites de
En cette célébration de Marie élevée
dans la gloire de son Fils, comment ne pas tourner notre regard avec admiration
vers celle qui est devenue la mère de tous les disciples de Jésus-Christ.
Vierge dans sa chair, son cœur et dans son esprit, elle est le modèle de
l’humanité voulue par Dieu. Elle reste une mère attentive à la vie de nos
familles, de nos communautés et de notre Eglise-Famille de Dieu qui est à Sarh.
Comme elle doit souffrir de voir ses enfants se mépriser à cause d’une blessure
volontaire dans la chair des jeunes filles abusées dans leur innocence.
Confions lui notre lutte, nos échecs ou nos incompréhensions…mais surtout notre
espérance de voir nos filles libérées des préjugés culturelles, heureuses et
épanouies dans leur vie de femme chrétienne.
O Bienheureuse Marie, Mère toujours
vierge,
Toi qui as cru à l'accomplissement de
toute parole venant du Seigneur,
Je confie à ta prière toutes les
femmes de notre Eglise-Famille.
Qu'elles accueillent et enseignent à
nos filles cette belle parole que tu as prononcée:
« Je suis la servante du Seigneur
qu'Il me soit fait selon sa Parole... »
En la solennité de l'Assomption de la
bienheureuse Marie, Mère de Dieu.
Sarh
le 15 août 2010
+
DJITANGAR GOETBE Edmond,
Evêque de SARH
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